• Nouvelle fantastique 1

    Un soir devant la cheminée

     

    Akina, une jeune fille de 15 ans, menait une vie tout ce qu'il y a de plus banal... Elle venait d'emménager dans une petite ville tranquille aux abords d'une chaîne de montagnes. Sa nouvelle maison lui plaisait beaucoup. Elle était très grande et la lumière semblait ne jamais la quitter. Sa chambre et celle de ses parents étaient situées à l'étage. Le salon était meublé d'une télévision, d'un canapé en cuir blanc, d'une large table en verre avec quelques chaises et d'une horloge. Quelques natures mortes étaient accrochées aux murs. La pièce était accueillante. Mais il y avait cette cheminée... étrange, sombre. C'était le seul endroit de la maison où la lumière ne pénétrait pas. Akina frissonnait lorsqu’elle s’en approchait : elle ne pouvait s'empêcher de penser que cette cheminée n'était pas normale.

     

    Un soir, après avoir terminé ses exercices de chimie, elle voulut revoir à la télévision un film qu’elle avait visionné autrefois avec deux amies. C’était un film d‘horreur, l’histoire d’un petit serpent recueilli par un jeune garçon. Devenu adulte, le reptile avait dévoré les membres de la famille les uns après les autres... Les prises de vue étaient particulièrement réalistes. A l'époque, Akina n'avait pas pu dormir de la nuit ! Que de souvenirs... Mais à 15 ans, elle ne risquait plus l’insomnie ! Bien sûr, ses parents étaient absents pour quelques jours. Mais elle avait grandi…

     

    Ses réflexions furent interrompues par la musique du début du film.

     

    * *

    *

     

    Les douze coups de minuit retentirent. Akina était très fatiguée mais le film ne se terminerait pas avant une bonne heure. Elle avait les yeux lourds mais se forçait à rester éveillée.

     

    Un bruit sourd la fit sursauter, comme un grognement venant de derrière. La jeune fille se retourna précipitamment et vit une tête de reptile émerger de la cheminée. Le monstre la regarda avec cruauté de ses yeux rouge sang et commença à sortir l'une après l'autres ses pattes aux longues griffes acérées.

     

    La jeune fille tressaillit. Quel était ce montre ? D'où sortait-il ? Comment s'en débarrasser ? Où se cacher ? Toutes ces questions se bousculèrent dans la tête d'Akina. Sans leur chercher de réponse, elle se mit à courir à la recherche d'une cachette. Elle entendit le monstrueux lézard pousser un cri rauque, elle comprit qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. Déjà les pas du reptile se rapprochaient.

     

    Elle ne connaissait pas tous les recoins de la maison et ne voyait pas où se cacher efficacement... Comment faire ? La bête ne lui laissa pas le temps de s'interroger d'avantage et fonça droit sur elle. La pauvre fille eut juste le temps de bondir pour éviter la charge mortelle. Prise de panique, elle se précipita à l’étage pour se réfugier dans la chambre de ses parents. Elle bloqua la porte avec une commode. Elle avait le souffle court. Surtout ne pas perdre la tête. Réfléchir…

    Elle se rappela qu'un jour son père l'avait disputée parce qu'elle avait voulu jouer avec un couteau qu'il aimait beaucoup.

     

    Elle avait 6 ans ; elle vivait encore dans son ancienne maison. Un après-midi pluvieux, alors qu’elle s'ennuyait, la petite Akina avait remarqué un joli étui doré en haut d'un meuble en bois. Intriguée, elle avait pris quelques coussins qu'elle avait empilés sur un tabouret pour compenser sa petite taille. Et alors qu'elle effleurait l'objet tant convoité, deux grandes mains puissantes l’avaient saisie et reposée à terre. Elle s’était retournée vers son père avec de grands yeux ronds et interrogateurs. Elle n’était plus très sûre de ce qu'il lui avait dit à ce moment là mais elle se rappelait qu’il lui avait passé un sacré savon ! Une arme aussi tranchante dans les mains d’une enfant… Et puis, son père tenait énormément à ce couteau, qui lui venait de son grand-père. Akina n'avait jamais connu son arrière-grand-père mais il était, paraît-il, très gentil...

     

    Où était cette arme ? Elle se mit à fouiller la chambre avec toute l'énergie dont elle était capable. Sans succès. Le poignard restait introuvable. Que faire ? Elle avait si peur que la transpiration lui coulait dans les yeux et lui brouillait la vue. Et l'horrible bête risquait de la découvrir d'une seconde à l'autre. L’armoire ! Elle décida de s’y réfugier derrière des manteaux épais. Elle espérait que cela suffirait à la dissimuler aux yeux du reptile. Son cœur battait comme jamais.

     

    Les griffes du lézard crissèrent sur le parquet. Elle entendit la porte se fracasser sous les coups de boutoir de l’animal. Elle comprit confusément qu’elle était devenue la proie de ce prédateur insensé. Le monstre la cherchait, elle le sentait. Elle ferma les yeux. Le temps semblait s'être suspendu. Elle n'aurait su dire s'il s'était écoulé quelques minutes ou bien des heures. L’angoisse s'était insinuée jusqu'au plus profond de son être. Elle se demandait ce qu'elle allait faire si le reptile la trouvait, ou encore ce qu'elle ferait s'il ne la découvrait pas : rester cachée ou sortir de là ? Elle avait peur de mourir. Mais tout en elle criait son refus d’en finir ainsi.

     

    Les portes de la vielle armoire en bois volèrent en éclats. Elle sentit un souffle glacé passer entre les vêtements. Elle ouvrit prudemment les yeux. Il était là, juste devant. Alors qu'elle se pensait perdue, elle vit quelque chose briller sous le lit de ses parents : un étui doré. Le poignard de son père ! Mais comment l'attraper ? Elle essaya de calculer le temps qui lui faudrait pour arriver jusqu'à l'arme. Mais le monstre aux yeux écarlates lui barrait la route. Il fallait qu'il bouge ! Akina ne savait pas encore de quelle manière elle allait se débrouiller mais il fallait que cette effroyable bête bouge !

     

    Elle glissa ses doigts avec le plus grand soin dans les manteaux qui la séparaient de l'horrible reptile. Elle sentit soudain comme un petit flacon. Elle le sortit du vêtement, l'approcha de son nez... Du parfum ! La jeune fille se concentra un instant. Elle écarta rapidement les habits et lança de toutes ses forces une giclée de parfum à la tête du monstre. Celui-ci poussa un cri aigu au contact de l’alcool qui lui brûlait les yeux. Akina bondit de l'armoire, plongea sur le poignard qu'elle dégaina. Elle se retourna face à l’ennemi. Elle avait désormais un avantage sur la bête aveuglée par le parfum et dont l’odorat serait bien moins performant.

    * *

    *

    Akina se débattait depuis trop longtemps. Elle était à bout de force. Elle se demandait comment ses jambes la soutenaient encore. Elle était couverte de griffures et saignait à divers endroits. Le monstre écailleux siffla, signe d'une nouvelle charge. Il la frappa d’un revers de queue, qui la projeta contre le mur. Un peu sonnée, elle se releva péniblement, l'esprit embrumé. Elle sortit de la chambre en titubant. Elle traversa le couloir et s'élança dans les escaliers, sans être suivie par le reptile aux griffes acérées. Vite ! Courir ! Chercher de l'aide ! Mais où ?

     

    Dans le salon, la jeune fille remarqua qu’il émanait une lumière intense de la cheminée. Elle s'en approcha d'un pas incertain. Pourquoi cette cheminée si sombre d'ordinaire s'illuminait-elle ainsi ? Elle jeta un bref coup d'œil par dessus son épaule. Elle avait un moment de répit… Elle se mit à étudier le rayonnement étrange. Puis, elle prit un bibelot sur une étagère et le jeta dans le foyer. Elle n'avait jamais vu pareille chose de sa vie : la lumière nacrée avait absorbé l'objet ! Surprise, elle recula vivement. Elle eut une idée risquée, certes mais elle n’en avait pas d’autre : faire disparaître le monstre dans la cheminée. Après tout, il en était sorti; il pourrait bien y retourner.

     

    Pour cela, elle devait fabriquer un leurre et le jeter dans la lumière devant les yeux du monstre. Avec de la chance, l'idiot foncerait tête baissée... Il fallait donc quelque chose qui porte son odeur et qui soit facile à envoyer dans la cheminée… comme ce vieux ballon de football, qui traînait sous l'escalier. Elle ôta prestement son t-shirt ensanglanté et le noua autour de la balle. Maintenant qu'elle avait son appât, il ne lui restait plus qu'à attirer la bête dans le salon. Chose aisée mais aussi très périlleuse. Monter à l'étage lui semblait trop dangereux... Faire du bruit ? Répandre de la nourriture ? Akina opta pour le vacarme. Mais alors qu'elle se dirigeait vers la chaîne hi-fi, l'horrible bête arriva d'elle même au bas des escaliers. La jeune fille posa le ballon à terre à la seconde où le lézard fondit sur elle. Rassemblant toutes ses forces, elle déclencha son shoot. La balle décolla du sol avec une puissance incroyable.

     

    Le temps sembla s'être arrêté, Akina vit son tir se diriger vers le foyer de la cheminée à une vitesse démesurément longue.

     

    Elle jeta un rapide coup d'œil en direction du reptile. Vision horrifique. Une gueule remplie de crocs aiguisés était grande ouverte prête à la dévorer. Elle voyait déjà la scène, les centaines de dents rougies par son sang, les griffes argentées plantées dans sa chair... Elle ferma les yeux, se pensant perdue.

     

    Puis, plus rien. Akina entrouvrit un œil. Etait-elle encore en vie ou avait-elle rejoint l'autre monde ? Elle eut l’image fugitive du monstre jeté à la poursuite du ballon, se noyant dans la lumière. Un éclair aveuglant traversa la pièce dans un grondement sourd. Eblouie par la foudre, étourdie par le bruit, la jeune fille ferma les yeux un instant puis cligna des paupières. Le flash était passé.

     

    Près de la cheminée, il ne restait plus aucune trace ni de rayonnement, ni de ballon, ni de lézard. Juste de la cendre... Epuisée, encore sous le choc, Akina s'écroula dans le canapé en tremblant.

    * *

    *

    Elle se réveilla en sursaut. Le film n'était toujours pas terminé. Elle baissa aussitôt les yeux : elle avait encore son t-shirt ! Et elle n’avait plus aucune égratignure sur les mains, pas même une simple coupure ! Devant la télévision, plus de couteau ! Akina eut le vertige. Ainsi donc, elle avait rêvé ! Toutes ces horreurs, elle les avait imaginées… Pourtant, elle avait mal partout… Elle jeta un regard à l’horloge : Minuit cinq. Cette longue succession de cauchemars n’avait donc duré que 5 minutes ! Elle en était encore toute retournée ! Tout cela à cause d'un stupide film d'horreur ! Elle n’avait pas tellement grandi, au fond ! Dégoûtée, elle éteignit le poste de télévision. Quelle nuit !

     

    A la fois dépitée et intensément soulagée, Akina jeta un dernier regard à la cheminée. Son sang se glaça. Là, dans la cendre... Une empreinte... Une empreinte de patte aux griffes longues et pointues...


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